Série casse-tête de l’officine HBO, Westworld propose, depuis 2016, une expérience narrative et visuelle qui se déploie entre science-fiction, série d’action et western et qui engage les publics dans un mécanisme hautement complexe. Dès la première saison, la série met en œuvre un dispositif de quête du sens de l’expérience des visiteurs du parc (des riches Américains blancs), ainsi que de celle des intelligences artificielles qui ont été placées dans ces mondes pour satisfaire les désirs (souvent animalesques) de ceux-ci, mettant à découvert, de manière brutale, un questionnement sur la violence, l’injustice (racisme, sexisme) qui sont à l’œuvre, mais aussi sur la nature de ce que nous considérons réel.
Le discours est dense et articulé et il correspond, au fil des épisodes et des saisons, à une expérience labyrinthique, à l’image du parc créé par la compagnie fictive Delos Destinations. Progressivement, nous comprenons que les répétitions de situations, les reprogrammations et les renvois à l’acte de création sont aussi un clin d’œil aux rouages des mécanismes des récits sériels ou des jeux en ligne multijoueurs. La série construit des connexions qui émergent au fur et à mesure du visionnement : tel un oignon, elle présente une multiplicité de couches qui, sur la durée, se révèlent interconnectées, forçant les fans-herméneutes à un exercice de mémoire et de course-poursuite avec les scénaristes. En effet, comme le rappellent ses créateurs, Jonathan Nolan et Lisa Joy, la série n’est pas « for casual viewers ». On ne regarde pas Westworld d’un œil distrait : une attention méthodique est nécessaire afin de ne pas se perdre dans le labyrinthe, entre doutes sur ce que nous croyons vrai, coups de théâtre, cliffhangers.
La série satisfait une spectature qui va à la recherche de relations causales entre les personnages et les actions représentés. Car regarder Westworld et commenter en ligne, lutter contre une matière trop ardue et se laisser porter par la force d’une fiction est finalement (pour ceux et celles qui y arrivent!) un processus gratifiant. Il l’est surtout en vertu du réconfort qui vient du fait de comprendre que, contrairement à la vie réelle, la complexité n’est pas fruit du hasard, puisqu’elle dépend du travail des puppet masters, les scénaristes. Contrairement au chaos du vivant, un récit fictionnel est saisissable par des outils herméneutiques partageables.
Encourageant ses visiteurs à « changer leur propre récit », le parc est le territoire idéal pour une dissertation sur le rapport qu’en tant que spectateur.trice.s, nous entretenons avec la fiction, ou le point de départ pour d’autres productions de connaissance. Ces dissertations existent, elles sont légion. Nous les trouvons dans les traces de réception proliférant dans les espaces en ligne : synchrones à la diffusion des épisodes, susceptibles de se développer à l’actualité telle l’arrivée d’une nouvelle bande annonce, rapides et virales comme une reaction video, ces traces nous restituent un portrait mobile de la série comme phénomène entrelacée aux discours qui l’entourent. Nous proposons ici un projet collectif et collaboratif dans lequel plusieurs voix de doctorant.e.s et étudiant.e.s en études cinématographiques et télévisuelles se rencontrent afin d’offrir un aperçu de Westworld tel qu’il nous apparaît dans le panorama d’aujourd’hui, au moment de la conclusion de la troisième saison (juin 2020).