ANALYSE DU GÉNÉRIQUE ET DES SITES TRANSMÉDIAUX

Cet article analyse le générique de l’œuvre de Jonathan Nolan et Lisa Joy ainsi que les sites transmédiaux de la série afin de cerner comment ils participent à construire l’espace dans et l’espace de Westworld. Nous nous intéresserons, en effet, aussi bien à l’espace qu’il y a au sein de la série, l’espace diégétique donc, qu’à l’espace qu’est la série elle-même.

VENDRE LA DESTINATION SERIELLE

Dans Westworld, l’essentiel des péripéties se déroule dans un parc d’attraction rétro-futuriste offrant aux visiteurs l’opportunité de jouer les cow-boys au sein d’un Far West méticuleusement reconstitué et peuplé de robots pouvant être utilisés afin d’assouvir aussi bien soif d’aventures qu’appétits de violence et de sexe.

Bien qu’allusif, le générique de Westworld restitue parfaitement l’essence de la série en parvenant à évoquer tant une époque dominée par la technologie que le cadre westernien dans lequel évoluent les personnages. Il nous semble toutefois qu’au-delà des éléments contextuels dispensés, l’opening expose les sujets et questionnements majeurs qu’aborde l’œuvre de Nolan et Joy. Nous aimerions, de fait, saisir quelles informations exactement sont délivrées au spectateur en l’espace d’une minute quarante trois¹. Ceci nous permettra de considérer comment le générique fait de la série une destination et dans quelle mesure les autres paratextes de la série y contribuent également.

Dans son article Une poétique du seuil, Gilles Bonnet propose une classification des génériques de séries télévisées et distingue cinq types majeurs : le générique titre², le générique personnel³, le générique-dispositif, le générique-trope et le générique site, enfin, qui lui insiste « sur les lieux qui verront se déployer le récit ».

Le générique de Westworld relève de cette dernière catégorie alors même que sur les trente-trois plans qui composent cet opening, à peine quatre présentent l’espace diégétique de la série. Ils suffisent néanmoins à faire de ce générique un générique-site puisqu’ils plantent de manière efficace le décor de l’ouest américain.  On notera que ces quelques plans se démarquent significativement. Tout d’abord, parce qu’ils sont les seuls à être en couleurs. La majorité des plans répond, en effet, à une logique chromatique différente en ne figurant que des éléments blancs, gris et noirs. C’est par leur brièveté, ensuite, que se démarquent ces images puisqu’elles sont quasi subliminales, avec une durée d’apparition à l’écran de deux secondes contre quatre à six pour les autres.

Ces plans topographiques ont également la particularité d’être indirects. Ni les vallées désertiques clairsemées de buttes de grès rouges, ni le ciel azur au dessous duquel elles s’étendent ne sont livrés tels quels au spectateur. C’est en surimpression sur une pupille, un iris qu’elles nous sont montrées ; en tant que reflet qu’elles nous sont données à voir. 

Ces yeux-paysages nous rappellent que « le mythe visuel de l’Amérique requiert une dilatation de l’œil, une vision panoramique qui englobe non seulement une perspective mais une prospective à la mesure de l’espace apparemment infini » (Guillaud).  Cette vision panoramique que les artistes de la fin du XVIIIe siècle n’ont de cesse de peindre « anticipe le cinémascope, format approprié aux wide open space du western ». Renvoyant à un procédé ayant pour but de faire voir davantage en élargissant l’image, ces yeux-paysages ont une portée symbolique forte, suggérant d’ores et déjà l’effort qu’auront à accomplir les personnages afin d’acquérir une vue d’ensemble leur permettant de saisir les machinations qui se trament autour d’eux. Hormis ceux que nous évoquions précédemment, seuls trois autres plans sont en couleurs dans le générique. S’ils figurent eux aussi un œil, aucun ciel, aucune butte ne s’y reflète cependant. C’est sur l’un de ces yeux que s’achève l’opening. Ce plan de fin, qui est également le plus long, affirme l’importance du regard qui sera dans cette oeuvre amené à se dessiller.

Ce sont précisément ces interprétations auxquelles invite le générique de Westworld qui font de lui également un générique-trope. Ce genre de générique est, selon Bonnet, propre aux séries « destinées à des publics restreints - dans la veine des créations de la chaîne câblée HBO, souvent citées comme exemple de Quality TV ». Les œuvres télévisuelles de cet acabit tendraient à privilégier un encodage métaphorique. Il nous semble que la métaphore de la vision que file le générique de Westworld se poursuit avec la référence qui est faite à l’expérience menée par Eadweard Muybridge en 1878.

C’est en effet parce que l’œil humain est incapable de décomposer la course d’un cheval, de percevoir s’il a ou non les quatre fers en l’air lorsqu’il est lancé au galop que, le 18 juin, Muybridge dispose vingt-quatre appareils le long d’une des pistes équestres du vélodrome de Palo Alto. Les clichés du pur-sang ayant été photographié révèlent qu’aucun sabot n’est au contact du sol lors de la foulée.
Voilà ce que nous est implicitement rappelé ici : la supériorité de l’œil machinique. L’opening de Westworld nous en présente justement un à la vingt-quatrième seconde. Il s’agit de celui d’un robot en train d’être construit. Nous assistons bientôt à la création d’autres membres : mains, articulations, cage thoracique, système nerveux, visage. Opérant en quelque sorte une vivisection en nous révélant les secrets de l’anatomie des androïdes, l’opening présage l’exploration scientifique à venir. Les protagonistes découvriront en effet au cours des différentes saisons ce que les robots peuvent accomplir grâce au corps et à l’esprit leur ayant été alloués.

Il y a aussi l’idée d’une exploration géographique dans ce générique. Quand ce n’est pas un personnage ou un objet qui se meut dans le cadre, c’est effectivement la caméra qui est mobile, qui se déplace, latéralement ou vers l’avant lors d’un zoom progressif. Le mouvement est ni plus ni moins constant or tout mouvement suppose une direction, un point d’arrivée. Cette destination est, à bien y réfléchir, indiquée dès le premier plan. Le générique s’ouvre en effet sur une lumière, artificielle puisque dispensée par une ampoule. Manœuvrée par un bras mécanique, cette ampoule effectue une courbe, lente et ascendante, rappelant celle du soleil au petit matin. C’en est bien un qui se lève à l’écran : un soleil machinique qui point depuis l’Ouest, et non l’Est comme il se devrait. L’Ouest n’est pas le couchant, n’est plus le déclin ici mais le commencement.

De quoi exactement ? La réponse se trouve possiblement dans le titre de la série, dans ce Westworld qui adjoint à l’Ouest, symbole de l’avènement, un monde. Ce monde est maintes fois mentionné par les personnages, notamment par Dolores dans le final de la saison 1. « This world doesn’t belong to them » confie-t-elle à Teddy. « It belongs to us ». Elle expliquait déjà cela à William, un peu plus tôt : « this world doesn't belong to you or the people who came before. It belongs to someone who has yet to come ». Ce « someone », ce sont les androïdes. C’est sur eux que se lève l’astre automate du générique, sur leurs côtes à nue qui attendent d’être recouvertes de quelque peau manufacturée et sont semblables à des monts quand leurs muscles saillants et synthétiques évoquent, eux, des plaines. 

Le générique nous renseigne sur l’espace vers lequel il nous mène, à savoir la série elle-même. Il nous documente sur le monde imaginaire que le spectateur s’apprête à pénétrer : un monde au bord d’une révolution qui sera menée en plein Far West par des robots, las d’être abusés. Patrick Clair, qui a supervisé l’équipe ayant réalisé le générique de la saison 1 de Westworld, précisait en interview : « there was this great feedback loop happening between the design of things within the narrative and the design of things in the title sequence. What we got out of that is that the show does this incredible job of sampling Western iconography, like the cowboys, the cowboy hats, the six-shooters, the horses, and then taking them and putting them in this graphic, sci-fi space. And we tried to take that same approach. What are the most epic, beautiful Western conventions that we can think of and then take what’s at the core of that and put it in a really sort of stark, beautiful, graphic sci-fi frame ».

En ce sens, l’opening de Westworld donne raison à Bonnet qui soutient que « par le générique, la série recycle son propre matériau, pratiquant une autotextualité à dimension réflexive : par là, la série, au sein du générique, s’affirme et se contemple... comme série : à la fois comme œuvre individualisée par un titre, et comme entité appartenant à un genre. C’est bel et bien par le générique que le téléspectateur prend conscience de la nature de l’œuvre audiovisuelle qu’il est en train de regarder ». Et il est vrai que le genre hybride – mélange de western et science-fiction - dont relève Westworld est communiqué d’emblée au spectateur. L’opening nous renseigne indubitablement sur le lieu vers lequel il nous emmène, nous indiquant l’esthétique et les enjeux de l’univers fictif que nous nous apprêtons à pénétrer.

Les publicités présentes sur les sites transmédiaux dont dispose la série concourent elles aussi à élaborer son espace, juste comme le faisait déjà le trailer du film de 1973 dont Westworld est l’adaptation : Mondwest. Une voix-off, appartenant vraisemblablement à une hôtesse de l’air, y annonce : « your attention, please. We will soon be landing at Westworld, the ultimate resort. It consists of three worlds of the past, worlds where you can live your every fantasy. This Roman world, the lusty, decadent delight of imperial Pompeii. Medieval world of chivalry and combat of 13 century Europe. And Westworld, lawless violence of the American frontier of 1880 ». « Our robots lifelike men and women are programmed to provide you with an unforgettable vacation ». En atteste, dans le plan suivant, ce visiteur qui exhorte son ami à abattre l’androïde qu’interprète Yul Bryner : « go on…kill him ». L’homme finit par s’exécuter et tire à plusieurs reprises. « In Westworld », poursuit alors l’hôtesse en off, « frustrations are released, desire ends in satisfaction; and all in a controlled environment. We know you’ll enjoy your stay in Westworld, the ultimate resort where nothing, nothing can possibly go wrong ». Le dernier mot est répété mécaniquement encore et encore, présageant une déroute que confirment les images de visiteurs se faisant attaquer qui ne tardent pas à se succéder à l’écran.

Le narrateur ayant introduit la bande annonce, en indiquant le titre du film ainsi que le nom de la boîte l’ayant produit, la conclut avec une présentation succincte du casting : « Westworld from MGM, starring Yul Bryner, Richard Benjamin and James Brolin. Westworld, the ultimate resort. Boy, do we have a vacation for you ». On notera que le narrateur, dans ces quelques lignes, fait tout autant la promotion de Westworld, le film que la promotion de Westworld, le parc, en soutenant depuis sa position extra-diégétique le même propos que les personnages de la diégèse à savoir « Westworld is the ultimate resort ». Cette phrase, prononcée trois fois durant les cent-soixante-dix-sept secondes que dure la bande-annonce, incite bien évidemment à se demander ce qui fait de Westworld le complexe touristique idéal.

On peut supputer, en se basant sur les renseignements fournis, que c’est entre autre la protection indéfectible qui est, en tout temps et tout lieu, assurée à la clientèle: « each resort is maintained by reliable computer technology », « our technology is designed to provide you all this in complete safety ». Sur le site DelosDestination.com, des informations similaires sont communiquées. Ecrire « safety » dans la boîte de dialogue permettant de converser avec Aeden génère l’allégation ci-contre : « within the confines of the park, you will never be in any risk of bodily harm. In fact, our Good Samaritan reflexes as good as guarantee it ». Il est garanti en 2016, juste comme en 1973, que les technologies employées au sein de Westworld sont fiables. Il suffit, à qui craindrait d’être blessé par les robots, d’entrer le mot-clé « stab » pour aussitôt être apaisé, Aeden s’empressant en effet d’expliquer : « guest safety is paramount at Delos Destinations, so weapons are moderated with the utmost care. Only select hosts are programmed to handle certain non-ballistic weapons – not every personality can be trusted with such privileges – and behind the scenes, a team of trained specialists work around the clock to manage our best-in-class security systems ».

Dans son article de 2009, Sophie Huberson rappelle que « les parcs de loisirs se font concurrence dans une surenchère d’attractions dont l’objectif est de procurer des sensations fortes. Le principal ressort utilisé pour parvenir à ce résultat consiste à placer les visiteurs dans une situation périlleuse à l’extrême limite de son dénouement dramatique ». « C’est là  la grande spécificité » des parcs de loisirs « qui n’existe dans aucun autre secteur industriel et commercial : créer, à chaque instant, des conditions de crise tout en conservant la maîtrise du
processus ».

« La première condition pour que le visiteur se distraie est de lui offrir un climat de confiance plutôt subtil : il doit se sentir en sécurité dans le parc pour apprécier au mieux les situations de crise qu’il va vivre. Il va de soi, en effet, que s’il n’a pas confiance, […] la peur réelle de l’accident l’emportera sur la peur artificielle générée par l’attraction » et le conduira à déserter les lieux dans l’instant. A l’instar des parcs bâtis autour d’installations⁷ susceptibles de présenter des défaillances techniques aux conséquences potentiellement mortelles, Westworld veille donc à rassurer ses clients « en communiquant en profondeur et à long terme sur le thème “le parc de loisirs est un espace sûr” ».
A la quatre-vingt sixième seconde du trailer de 73, un employé, dans le secret des bureaux de Delos, reconnaît toutefois que le risque zéro n’existe pas, que c’est même précisément la certitude d’encourir un risque qui attire les clients du parc. « Many elements of the Delos resort are potentially dangerous, that’s part of the appeal ».

Un discours similaire est tenu dans le premier épisode de la saison 3. A la mention des cent-treize victimes qu’a fait la tuerie survenue dans l’enceinte de Westworld, Charlotte n’a que cette remarque, des plus cyniques : « people come to our parks for a sense of danger. Now, we’re bona fide ». Ce massacre pourrait, en définitive, être bénéfique à l’entreprise en prouvant sa bonne foi, son honnêteté puisque désormais, elle ne saurait décemment être accusée de publicité mensongère. La véracité de la phrase d’accroche « welcome to Westworld […] a world of danger » qui apparaît dans le spot commercial  entrevu en 1.06 a été une fois pour toute démontrée.  A bien y regarder, le péril - inhérent à l’expérience que propose Delos- est mis en avant bien plus que ne l’est la sécurité, tout au moins dans la version télévisuelle de 2016. Les échanges qu’il est possible d’avoir avec Aeden ne laissent aucun doute à ce sujet. De par ses réponses, le chatbot révèle combien la compagnie capitalise sur la peur.

A titre d’exemple, Aeden a été programmé pour déclarer à tout utilisateur qui emploierait le mot « scared » : « our parks offer as many thrills as you can handle, but sometimes what we’re afraid of can bring the most satisfaction ». De toutes les aventures que le parc a en réserve, celles qui sont éminemment gratifiantes le sont précisément parce qu’elles sont terrifiantes, c’est ce qu’il faut que comprennent ici les clients potentiels ; que la frayeur est à rechercher. La mise en garde d’Aeden concernant les nombreuses menaces planant sur la ville de Pariah s’avère ainsi être une invitation à s’y rendre. « Since it’s filled with soldiers, war is the perpetual state of things », ce qui promet d’être palpitant, ô combien excitant, dans la mesure où nul n’est à l’abri d’une balle perdue. Pas même les visiteurs. 

Pariah

Aeden se fait un plaisir d’apprendre cela à qui aimerait en savoir davantage sur les fusils (« guns ») : « our parks wouldn’t be as thrilling if the guns weren’t loaded. Humans can be shot, but you are under no serious risk of injury or death: a low-velocity closer to paintballs than bullets. You will either get better at ducking or grow accustomed to the impact. What else would you like to know about ? ».

Les visiteurs sont, non sans dérision, informés qu’ils ne seront en aucun cas ménagés. C’est précisément avec cette douleur qui ne leur sera pas épargnée que le réalisme est poussé jusqu’au réel ; avec elle que Westworld s’inscrit au-delà d’une simulation. La souffrance rend l’expérience véritable. Le visiteur n’a pas à se croire ailleurs. Il y est, ancré par ses ressentis, par la peine qui est susceptible de lui être infligée ; par le plaisir également. Le Mariposa, avec son saloon et sa maison close, fait les clients éprouver dans leur chair la concrétude du lieu fantasmatique dans lequel ils se trouvent. Un lieu voué à satisfaire tous leurs appétits. « No carnal desire is too sinful or twisted, and we offer complete discretion. Our hosts don’t kiss and tell, but you certainly can if you want ». Le mot trop  est banni du vocabulaire westworldien. Ceci est clairement institué par la phrase « don’t rule anything out », par le fait également que les termes « violence », « hurt », « shoot », « murder » et « kill » génèrent tous le même : « you can do whatever you like at our parks. Satisfy all your urges without consequence ». Chacun est autorisé, encouragé même, à faire ce qui lui plaira.

Selon Huberson Sophie, « la logique de divertissement s’appuie sur trois notions :

1. l’absence de contraintes : celles de la vie quotidienne, ennuyeuses et frustrantes, ont disparu.
2. le sentiment de liberté découlant de cette absence de contraintes : la première impression ressentie dans un parc de loisirs est l’impression que tout est possible.
3. la déresponsabilisation du visiteur, conséquence logique des deux premiers points »

Dans Westworld, il n’y a pas seulement absence de contraintes ; il y a aussi absence d’interdits. Il n’en demeure aucun. Ce qui est promis au public, ce n’est donc pas un sentiment de liberté, un vulgaire aperçu de ce qu’elle pourrait être mais bel et bien la liberté elle-même. « A freedom that only exists in your wildest dreams and our parks ». Là-bas, rien, absolument rien n’est défendu. Aeden le confirme, aucun acte n’y est répréhensible : « within our worlds, there are no laws that cannot be broken ».

Le slogan du parc - « live without limits »-, les hommes s’affranchissent de toutes restrictions morales, se vautrant dans la débauche. Patrick Clair évoque cela lorsqu’il relate en interview son premier visionnage du film de 1973 : « what really struck me was that I’d been expecting something that was just a story about robot cowboys in a creature-feature kind of way. I expected to be, you know, the cowboys go nuts and it’s all very exciting and violent — which it is — but there’s a much deeper level to it, which was the way that it explored vice and the way vice drives us. How that darker side of humanity is the motivation behind so many of the decisions we make, especially the bad decisions we make. What I found exciting about J.J. and Jonah and Lisa’s take on this was that they really dove into that side of it ».

Westworld est un « espace psychopathologique » à l’instar du ParK que décrit Bruce Bégout dans son roman. « Jamais un lieu n’a paru si en phase avec les émotions les plus sombres de l’âme humaine, comme à l’unisson ». « A l’attirance se mêle bien souvent la répugnance. Et l’une fait le jeu de l’autre, en augmente la force et l’intensité. […] Le merveilleux et l’horrible, le ludique et le pathétique, tout ce qui suscite des émotions fortes, qu’elles soient plaisantes ou non, telle est l’offre spectaculaire du Park ».

Il est à noter que l’expérience si singulière que propose Westworld a une durée impartie. « For your own safety, the maximum length of stay at the park is 28 days ». Pourquoi cette limitation temporelle ? Qu’advient-il au delà ? Une perte irréversible de toute éthique ? Le basculement dans la folie ? Afin de parer à toute éventualité, les visiteurs sont tenus regagner le Mesa Gold au bout d’un mois et d’y séjourner pendant au moins une semaine. Cette période de transition, obligatoire afin d’amorcer un retour à la normal, de retrouver son équilibre psychologique avant de s’en aller chez soi, est nécessaire pour la majorité des clients car rares sont ceux qui viennent à Westworld pour les expéditions inoffensives qui sont promises aux parents et aux enfants : « explore the high sierra, canyons […] and go treasure hunt that is sure to be fun for the whole family ». Bien des individus se rendent à Westworld seuls.

Pourtant « les études le montrent, les clients préfèrent visiter un parc lorsqu’il y a du monde et non quand il est déserté. Les inconvénients des files d’attente, des cohues, de la difficulté à circuler, sont amplement compensés par l’atmosphère qui se dégage d’une foule cherchant à se distraire. Pas de fête sans un minimum de convives, il n’existe pas de liesse solitaire. C’est l’effet “chaleur communicative des banquets”. Les attractions les plus spectaculaires, les défilés les plus animés, la musique la plus entraînante, ne sauraient créer une ambiance dans un parc à moitié vide. C’est pourquoi le parc ne s’adresse pas à des clients solitaires mais à des groupes : la famille, la bande de copains, qui eux-mêmes fusionnent dans l’émergence d’un phénomène de foule » (Huberson).

Il n’y a guère de rassemblement à Westworld mais bien plutôt une tendance à se désolidariser de ses pairs. En témoigne cette discussion entre deux hommes au début du pilote :

« _ Now, the first time I played it white hat. My family was here. We went fishing, did the gold hunt in the mountains.

_ And last time?
_ I came alone. Went straight evil. It was the best two weeks of my life ».

Ainsi que l’explique Aeden : « wearing the black hat isn’t just an accessory choice. It’s a way of life in Westworld. Going black hat means letting go of reservations, inhibitions, guilt and impulse control. It’s stripping down what’s held you back and revealing who you really are ». Dans ce parc où tout est possible, chacun a la possibilité de se découvrir. « A place where you can escape yourself to know yourself » « being your true self» « discover yourself » sont autant de phrases récurrentes et dans la série et sur ses sites transmédiaux.

« L’individu moderne n’est plus », observe Bertrand Buffon dans son analyse de la rhétorique publicitaire « enserré dans des cadres géographiques, sociaux et culturels qui autrefois » le définissait. « Détaché de ces anciennes déterminations, il est à la recherche de lui-même […]. C’est sur cette quête d’identité que la publicité bâtit son empire. Tel produit, associé à telle valeur, vous donnera telle identité ; une identité qui n’est jamais, bien sûr, que la manifestation de votre moi profond, de votre être véritable…». « Deviens ce que tu es, proclame » par exemple « une publicité pour les polos Lacoste qui montre un individu nous regardant, habillé d’un tee-shirt de la marque » (Buffon).

Ces exemples mettent somme toute en évidence le fait que le discours publicitaire entretient, comme le souligne Carmen Andrei, des liens avec la narratologie. « Le principe d’organisation de l’appareil narratif suppose l’existence d’une situation de Manque pour un certain Etre; prise de conscience de ce Manque qui incite cet Etre à devenir l’Agent d’un Faire (Quête); Quête qui consiste à essayer de combler ce Manque (Objet de quête) ». La quête est littérale ici. Il faut entreprendre un voyage (« trip », « journey », « traveling ») pour atteindre ce qui manque à savoir le soi. Il faut, pour cela, quitter le quotidien (« everyday life » « your daily routine ») et partir loin, le parc étant à des centaines, possiblement des milliers de kilomètres de toute ville.

« C’est que » note Bruce Bégout « la leçon du ParK n’est pas admissible par tout le monde, ni dans n’importe quelle circonstance ; elle requiert une certaine préparation physique et mentale une ouverture d’esprit, une capacité de questionnement radical des préjugés et des tabous. L’éloignement dispose favorablement à la réception progressive de cette expérience-choc qui […] ne peut être reçue dans les conditions normales de l’existence. Que se passerait-il, en effet, si Le ParK se trouvait dans la banlieue d’une grande métropole, intégré comme n’importe quel autre bâtiment au tissu urbain, entre autoroutes, zones commerciales et quartiers pavillonnaires ? Nous n’osons y songer ».


Parvenu au terme de cet examen des éléments paratextuels de Westworld, il apparaît que l’espace de la série s’élabore en amont, dès le générique et continue son expansion avec les sites transmédiaux. Les informations complémentaires que ceux-ci apportent approfondissent nos connaissances sur le parc, lui donnant une épaisseur qui tend à le rendre concret. Le parc devient, à l’aide des cartes présentes sur le site DelosDestinations.com et des annonces faites par Aeden, un lieu un peu plus tangible dans lequel il est possible de se repérer géographiquement et moralement.

Notes de bas de pages

1.  Les génériques de Westworld différent de saison en saison pour s’adapter à l’intrigue étant alors développée. Nous nous concentrerons ici sur le générique de la première saison.
2.  « Degré zéro du générique, il se contente d’un affichage, plus ou moins esthétisé, du titre de la série »
3.  «  Ce générique se consacre principalement à la présentation successive des acteurs impliqués dans la série et de leurs personnages, par le biais de « plans-portraits ».
4.  « Ce générique vient donc combler une lacune informative et délivrer, par un micro-récit aux vertus pédagogiques patentes, un savoir extra-diégétique, ou plutôt anté-diégétique ».
5.  « Ce générique joue la carte de l’opacité, à l’inverse de l’extrême lisibilité »
6.  Il s’agit d’un format obtenu en recourant à l’anamorphose. Cette technique permet, grâce à une lentille cylindrique, de comprimer l’image lors de la prise de vue et d’utiliser ainsi toute la superficie du capteur. Les images, décompressées lors de la projection, ont, en définitive, une taille bien plus large que celles des films au format standard.
7 Telles que les montagnes russes, les catapultes, etc
8 Disponible dans son intégralité sur le site Discoverwestworld.com
9.  L’une des villes de Westworld


Bibliographie


Andrei, Carmen. 2007. «  Ressorts argumentatifs dans le discours publicitaire ». Communication and Argumentation in the Public Sphere, n°1, p. 126-139. URL : https://nbn-resolving.org/
urn:nbn:de:0168-ssoar-71523

Bonnet, Gilles. 2014. « Une poétique du seuil : le génésérieque ». TV. Écrans. Classiques Garnier.

Buffon, Bertrand. 2002. La parole persuasive : Théorie et pratique de l’argumentation rhétorique. Presses Universitaires France. Paris

Guillaud, Lauric. Menegaldo, Gilles. (dir.). 2015. Le western et les mythes de l’Ouest : littérature et arts de l’image. Rennes. PUR

Huberson, Sophie. 2009. « La gestion paradoxale de la sécurité dans les parcs de loisirs », Sécurité et stratégie, vol, n°2, p. 43-51. URL : https://www.cairn.info/revue-securite-et-strategie-2009-2-page-43.htm


Présentation de l'auteure

Ancienne étudiante à l'Université Grenoble-Alpes, Joyce Cimper a consacré ses mémoires de Master à l'identité que confère la musique dans Supernatural et à la folie multisensorielle à l'oeuvre dans Legion. Elle est actuellement doctorante en études cinématographiques à l'Université de Montréal, sous la direction de Marta Boni. Elle étudie la nature hétérotopique des séries télévisées à partir du cas de Westworld.