Comptes-rendus du colloque :
« Queer Television / Télévision Queer »


Pour le compte rendu réalisé par Chloé Glangeaud sur SYNOPTIQUEc’est par ici 

La subjectivité 

Dans le milieu académique, la subjectivité est souvent considérée comme une faille, un piège que l’on se doit d’éviter au risque de compromettre la « rigueur scientifique ». Cette idée peut bien se défendre lorsqu’il est question de données empiriques ; mais dans ce colloque sur la télévision queer, la subjectivité avait bel et bien sa place. Prévoyant que ce serait le partage – et peut-être parfois le heurt – des subjectivités individuelles qui alimenterait les réflexions, les organisatrices n’ont pas tenté de définir arbitrairement l’objet du colloque. Elles ont préféré créer un espace de discussion où niveau académique et sensibilités personnelles ne s’excluraient pas, faisant une place à l’expérience individuelle comme moteur de réflexion scientifique. La définition même d’une « télévision queer » était ainsi l’une des questions centrales de l’évènement, et le but n’était pas d’y obtenir une réponse absolue mais bien de faire dialoguer les points de vue de chaque participant-e à ce sujet.

On a ainsi vu apparaître la subjectivité autant dans les recherches présentées que dans les périodes de discussion. C’est en tant que chercheuse mais aussi en tant que fan que Lynn Kozak nous a parlé de la série Hannibal ; c’est en tant que chercheur mais aussi en tant que téléspectateur qu’Alfred Martin a analysé une scène de la sitcom Are We There Yet ? ; et c’est en tant que réalisatrices-teurs mais aussi en tant qu’individus que Jordan Hall, Adam Wanderer et Alice Bédard ont discuté de leurs webséries respectives .

La subjectivité inhérente aux séries analysées par nos chercheuses-eurs a également fait l’objet de beaucoup d’attention lors des présentations. Nous savons que toute représentation est subjective, mais plusieurs chercheuses-eurs ont souligné que celles qui n’assument pas cette subjectivité peuvent poser problème. Dans le contexte actuel, on aspire à une diversification des représentations à la télévision, en demandant des créatrices-teurs « mainstream » d’inclure des personnages et des récits non-hégémoniques ; mais la simple présence de ces figures ne garantit pas leur inclusion, puisque le regard subjectif qui est choisi pour en traiter peut néanmoins participer à leur marginalisation.

La présentation d’Alfred Martin sur Are We There Yet? posait notamment des questions de subjectivité non-affirmée. Il s’intéressait à l’utilisation de la « laugh track » dans cette sitcom représentant la vie quotidienne d’une famille afro-américaine de Seattle. Les rires entendus dans l’émission, qui semblent provenir d’une audience en studio qui assisterait au tournage comme c’est le cas dans plusieurs sitcoms, sont en réalité préenregistrés et ne sont ajoutés qu’à l’étape du montage. Le chercheur affirmait que ce procédé, en apparence anodin, révélait en fait le système de valeurs de l’émission, car il constatait que le placement stratégique des rires préenregistrés remplissait une fonction de « hegemonic corrective ».

Cette fonction apparente les rires préenregistrés de Are We There Yet? aux commentaires « pop-up » apparaissant dans la télé-réalité américaine Blind Date (Universal Worldwide Television/NBCUniversal Television Distribution, 1999-2006). Cette télé-réalité est caractérisée par des animations, sous-titres et bulles de BD qui apparaissent à l’écran pour formuler des commentaires humoristiques sur les participant-e-s. Dans leur article « Pop (Up) Goes the Blind Date : Supertextual Constraints on “Reality” Television », DeRose, Fürsich et Haskins (2003) désignent ces commentaires par le terme « supertext » (que nous traduirons en français par « supertexte »), et observent que le supertexte a pour fonction de « fram[e] the divergent participants […] in a manner that comically punishes deviance from hegemonic norms. » (DeRose et al. 2003, p. 172)

On pourrait ainsi considérer les rires préenregistrés dans Are We There Yet ? comme une forme de supertexte, qui serait auditif plutôt que visuel. Les deux procédés ont en effet le même rôle, soit de guider – et ainsi de restreindre – l’interprétation du public de façon à renforcer un regard hégémonique. Dans l’article susmentionné, les auteur-e-s relèvent deux moyens par lesquels Blind Date encourage l’idéologie dominante, et nous verrons que ces deux moyens se retrouvent également dans la scène analysée par Alfred Martin dans son exposé, tirée de l’épisode « The Boy Has Style » (épisode 6, saison 2).

« First, the participants are framed as comic scapegoats, whose “transgression” of mainstream norms is highlighted by the intervention of the pop-up commentary. » (ibid., p. 176) Bien que le cas analysé par Martin soit une œuvre de fiction, et donc mette en scène des personnages et non des participant-e-s, l’idée que les personnes apparaissant à l’écran se retrouvent « framed as comic scapegoats » (idem) est tout à fait à propos. Dans l’extrait montré pendant la présentation, c’est le personnage de Nick qui fait figure de « bouc émissaire comique » par son incompréhension et sa confusion face à la révélation de l’homosexualité d’un ami de sa fille. Suzanne, sa femme, affirme que l’orientation sexuelle du garçon est flagrante en raison de son intérêt apparent pour la mode, et Nick peine à concevoir qu’un joueur de football, qui plus est de grande taille, puisse être gai. Au fil de l’échange, les rires soulignent le ridicule des arguments de Nick ainsi que la vivacité d’esprit de Suzanne par ses réponses qui déconstruisent les clichés qu’il soulève. On pourrait alors croire que la condamnation par le rire des idées datées de Nick va à l’encontre des normes hégémoniques hétéronormatives, mais les caractéristiques listées par Suzanne (il a un sac à main pour homme, il s’habille bien, il a complimenté la robe de leur fille) restent dans le registre du stéréotype. Alfred Martin en conclut que l’humour dans cet épisode s’adresse toujours à un public hétérosexuel, présentant l’homosexualité comme « detectable and laughable » puisque c’est « the way in which [heterosexual people] have been trained to understand queerness ». Ainsi, si les rires préenregistrés placent le personnage de Nick en position de « bouc émissaire comique » en soulignant sa transgression des normes (ici, par son ignorance qui est tout de même excessive pour l’époque), les mêmes rires encouragent Suzanne et valorisent ses arguments – aussi très stéréotypés – en les présentant comme des répliques futées. De plus, en présentant Nick comme ridicule de ne pas avoir noté ces traits « caractéristiques » que Suzanne mentionne, on présuppose que le fait qu’un homme porte un sac à main ou qu’il s’intéresse à la mode sont effectivement des indices d’homosexualité que n’importe qui devrait savoir reconnaître.

« Second, the audience is invited to join the comic “chorus,” represented by the supertext, and thus to adopt a dominant ideological subject position. » (ibid., p. 176) Plus précisément, « the supertext disguised as innocuous comic relief reinforces hegemony by inviting the audience to join the producers in negatively sanctioning any deviation from mainstream standards » (ibid., p. 185) Dans l’exemple présenté par Martin, la subjectivité est d’autant plus sournoise qu’elle est directement attribuée au public par l’intermédiaire des réactions du (faux) public. L’invitation à rejoindre l’interprétation construite par les producteurs-trices est ainsi masquée ; le public illusoire, avatar du public réel, a préalablement été nommé pour représenter ce dernier, ne lui laissant pas la chance de réagir de façon plus spontanée et personnelle au dialogue présenté. Ainsi, alors que dans la télé-réalité analysée dans l’article cité, l’interprétation subjective formulée par le supertexte était attribuée aux participant-e-s ou à des personnages fictifs, c’est indéniablement au public qu’est attribuée l’interprétation comique préfabriquée dans Are We There Yet ?.

Si cette interprétation pouvait ne pas faire tiquer le public hétérosexuel visé, Alfred Martin notait que ce type de représentation n’était pas du tout satisfaisante mais bien frustrante pour les hommes noirs gais que l’ami était censé incarner, surtout que le personnage était écarté dès la confirmation de son homosexualité et n’avait plus jamais réapparu dans l’émission. Le chercheur terminait en s’interrogeant sur l’effet qui aurait été produit si la « laugh track » avait été retirée : qui sait, l’absence totale de rires préenregistrés, de cette complicité artificielle entre le public de la table de montage et celui en face de l’écran, aurait peut-être laissé transparaître l’ignorance de Suzanne comme de Nick, nous les faisant apparaître tous les deux comme risibles.

Puisque c’est l’imposition de la subjectivité hétérosexuelle – pour ne pas dire hétéronormative – des créatrices-teurs de l’émission qui posait problème dans l’extrait analysé par Martin, on pourrait s’imaginer que la représentation de personnages queer par des créatrices-teurs queer suffirait à régler le problème. Malheureusement, c’est loin d’être aussi simple, car on constate que les émissions créées par des personnes queer peuvent tout autant se révéler problématiques en termes de représentation et de diversité.


La présentation de Charlotte Kaiser, intitulée « Représentant lesbienne : queering le féminin ? Visibilité lesbienne dans la websérie montréalaise Féminin/Féminin », détaillait un exemple de ce problème. La chercheuse expliquait que malgré le fait que cette série mettant en scène un groupe d’amies lesbiennes ait été créée par une réalisatrice elle-même lesbienne, les dynamiques entre les personnages reproduisaient parfois des codes hétéronormatifs. Par exemple, lorsque l’un des couples décide d’avoir un enfant et que les deux femmes se demandent qui d’entre elles le portera, l’une ne se pose la question de savoir si elle sera une bonne mère qu’à partir du moment où elle envisage la possibilité de porter elle-même l’enfant et donc d’en être la mère biologique. Selon Kaiser, cette scène reproduit le modèle hétéronormatif en associant exclusivement la maternité au fait d’avoir été enceinte, alors que le fait que les deux parents soient des femmes pourrait suffire à ce qu’elles se considèrent mères toutes les deux. La chercheuse opposait à ce couple le personnage d’Alex qui, en refusant la catégorisation, déstabilisait l’hétéronormativité en en rejetant les codes.

Lorsqu'il est question de visibilité, les différentes approches sont loin de faire consensus. On peut faire le parallèle avec le différentialisme et le matérialisme dans les théories féministes : certaines considèrent que leur « différence » doit être célébrée et affirmée, alors que d'autres considèrent que les « étiquettes » participent à leur oppression en les séparant de la population considérée « normale ».

La série Féminin/Féminin s’est également souvent vu reprocher son manque de diversité. Les femmes représentées sont blanches, non-handicapées, généralement conformes aux standards de beauté actuels et issues de la classe moyenne. À cela, la réalisatrice de la série, Chloé Robichaud, répond qu’elle n’avait pas l’intention de représenter l’ensemble de la communauté lesbienne montréalaise et qu’elle s’était en fait basée sur son groupe d’amies pour créer les personnages. Elle plaide donc la subjectivité, en opposant son expérience personnelle à une réalité objective moins « rose » que la websérie.

Lors d’une présentation donnée dans le cadre du cours « Cinéma, genre et sexualité » à l’Université de Montréal le 7 mars 2016, la réalisatrice a également parlé de « représentation « pop » des lesbiennes » pour désigner Féminin/Féminin. Elle évoquait le fait que pour la communauté lesbienne elle-même, il peut être agréable d'avoir un objet beau, positif, glamour – de la même façon que, par exemple, beaucoup d'adolescentes ont regardé la série Gossip Girl avidement malgré le fait qu'elle était très loin de leur réalité. Elle mentionnait cependant également une volonté de rejoindre un public plus large, hétérosexuel, qui ne ferait autrement pas l’effort de penser au-delà de l’hétéronormativité qui les entoure. C’est donc par crainte qu’un message « cru » venant d'une communauté diversifiée n’atteigne pas ce public qu’elle a « dilué » la communauté lesbienne pour en faire cette représentation modérée, polie (dans les deux sens du terme) et conforme à une tradition culturelle hétérosexuelle. Robichaud affirmait que pour que l’idée leur soit accessible, certains avaient besoin d'un message uniforme qui ne les bousculerait pas trop dans leurs convictions. Or, cette explication plus nuancée de la réalisatrice n’est pas donnée à tout le monde, et le produit lui-même reste ce qu’il est : blanc, poli, uniforme et empreint d’un certain degré d’hétéronormativité.

On peut ici faire un lien avec la présentation de Julie Ravary-Pilon, intitulée « “Lose your shirt, we don’t have time” : Figure lesbienne comme dispositif comique hétérosexiste dans les segments Nick the Gardener du Ellen DeGeneres Show ». Elle affirmait que la figure d’Ellen DeGeneres, dont le coming-out en 1997 a marqué une transition vers une plus grande visibilité lesbienne aux États-Unis, était malheureusement asexuée dans le contexte de son talk-show et s’inscrivait au final dans une dynamique hétéronormative. Ravary-Pilon constatait que l'inclusion de la figure homosexuelle d’Ellen était facilitée par le dispositif comique de l’émission, qui la rendait non-menaçante pour les normes hétérosexistes en la maintenant en marge.

Lors de la période de questions suivant la présentation de Charlotte Kaiser, la discussion tournait autour du « Je ne veux pas porter de jugement en disant que Féminin/Féminin fait une mauvaise représentation, mais… » ; au final, toutes et tous s’entendaient pour dire que s’il était possible que les personnages soient représentatifs du groupe d’amies de la réalisatrice, la série restait une représentation incomplète et devrait s’annoncer ouvertement comme telle. La présence de ce type de visibilité lesbienne dans les médias n’est pas une mauvaise chose en soi, à condition que le portrait soit complété par d’autres représentations.

Kaiser terminait en présentant brièvement la série berlinoise Mixed Messages, par Kanchi Wichmann, comme une meilleure alternative. Selon elle, à l’inverse de la représentation hégémonique dans Féminin/Féminin, Mixed Messages fragmente les normes en représentant des identités non-stéréotypées, diversifiées, sans nommer des catégories, sans coming-out, et sans visée pédagogique pour la population hétérosexuelle. On peut également mentionner la websérie Brown Girls, par Fatima Asghar et Sam Bailey, qui était l’objet de la présentation de Prakash Krishnan intitulée « Examining “Brown Girls” : How Web Series Might Be the Solution to the Problem of Representation ». Cette série, portant sur des femmes queer racisées, n’adopte pas non plus une position d’ « explication », ce qui correspond selon Krishnan à une prémisse de type « by us, for us ». Il estime malgré tout que les gens qui ne s’identifient pas personnellement aux personnages de cette série devraient tout de même être en mesure de l’apprécier – tout comme lui-même a pu s’intéresser, par exemple, à des sitcoms portant sur des familles nucléaires blanches sans que cela corresponde à sa propre situation.

BIBLIOGRAPHIE

DeRose, Justin, Elfriede Fürsich et Ekaterina Haskins. 2003. « Pop (Up) Goes the Blind Date : Supertextual Constraints on “Reality” Television ». Journal of Communication Inquiry, vol. 27, no 2, p. 171‑189.

POUR VISIONNER LES WEBSÉRIES MENTIONNÉES :
Brown Girlshttp://www.browngirlswebseries.com/episodes 
Féminin/Fémininhttp://femininfeminin.com/episodes/ 
Mixed Messageshttps://vimeo.com/ondemand/mixedmessagesseries 

« We don’t know what ‘Queer TV’ is!”


These were among the first words of the QueerTV conference – as much an admission of partial ignorance as it is inquisitive, exploratory. This is how Joelle Rouleau set the tone for the upcoming days of the conference: it would be both an extremely rigorous academic challenge in defining the confines of queerness in television, but also a joyful admission of our own misconceptions, and sometimes even our ignorance. Hidden behind the façade of the classical academic conference was a collaborative exercise in defining (and not defining), analyzing (and not analyzing), interpreting (and not interpreting). With reflexions ranging from the concepts of television and queerness themselves to the crucial topics of representation, censorship, and capitalism, participants were invited to contribute to a very vast discussion which was ultimately set to fail – as Jack Halberstam writes: « [f]ailing is something queers do and have always done exceptionally well” (Halberstam in The Queer Art of Failure, 2011).

Although failure is generally regarded as a mostly negative consequence to an attempt, the failure to define “queer tv” as a concept would have been a vain exercise if the goal was to end up with a clear and concise account of this oxymoronically constructed subject. Trying to join the mainstream and the countercultural, the capitalistically coded and the refusal to submit to labelling, may sound like a vain task. But although this quest may be wrought with oppositions and ontological conflicts, it also allows for a very large exploration and discussion space, very well established between these seemingly antithetical poles. And this is precisely where the true richness of this attempted reconciliation lies: within the confines of self-imposed failure can be found the most fulfilling and constructive of thoughts.

Just as the Enterprise’s crew set out for their 5-year mission to explore the galaxy, our wonderful crew of queer people from Canada, France, Italy, the United States, Spain, Germany, Brazil and Mexico, set out to explore the confines of queerness and mass media with an open mind. Across the three days of presentations, roundtables and even a collective analysis (!), some subjects seem to gain a lot of traction. Queerness, it seems, cannot only be found in the content of the studied objects, whatever their nature may be: it is also crucial to think of their logical structure as well as of spatiality and temporality, according to many participants (Lynn Joyrich, Florian Grandena, Lynn Kozak, Yaghma Kaby, Alexis Poirier-Saumure, Prakash Krishnan). Lynn Joyrich gives the example of series like Sense8 (Netflix, 2015), which structure is, in itself, profoundly queer – regardless of the queerness of the characters inhabiting the televisual universe.

Another interesting thing to be considered when talking about the concept of queer television is the parameters within which we study it. Our failure may not lie in the fact that we cannot define queer television properly, but rather in the attempt to approach it from a formalist standpoint to begin with - and this can be confirmed by the myriad perspectives put forth by the participants across the three days of the conference. Although more traditional methods were indeed employed (such as Maxime Cervulle’s data collection and interviews through the /r/DragRace Subreddit), others used an autoethnographical point of view (Florian Grandena, for example) to talk about their own experience as a way to engage with a queer televisual corpus. It seems that such an approach is particularly interesting in the case of queer objects, especially when it comes to talking about queer bodies (Grandena, Poirier-Saumure, Jacqueline Ristola). Bodies are complex, unique, mysterious and deeply personal - it makes therefore a lot of sense to use such an underused approach to talk about how we experience televisual art in a queer way. This last aspect is particularly important if we are to think of queer tv as more than the representation of queer peoples within the show themselves: autoethnography allows to think of the experience of queerness as a televisual subject, a spectator. It puts forward a profoundly subjective outlook on the viewing experience, and valorizes the queer experience in and of itself.

The first day’s collaborative analysis of the introduction sequence of the show Pose (FX, 2018), led by Alanna Thain, was interesting in many ways. It allowed for a group viewing experience, echoing the historical roots of television as a familial activity, but it was also a beautiful analogy of the work we would do in exploring televisual queerness during those three days. In itself, this (too short) segment of our three days mimicked our reflexions on a larger scale: undoubtedly a queer way to approach academic analysis, it sparked thoughts that led in multiple directions and highlighted different key elements that would help us think about queerness in TV. Ranging from historical, artistic, cinematographic, pop culture and representational issues, the discussions were vivid and enthusiastic while also being critical.

The now very popular show RuPaul’s Drag Race (Logo TV/VH1, 2009), which was mentioned by both Maxime Cervulle and Lucas Bragança and was a fairly popular conversation topic during the breaks, might seem at first glance like a fairly instinctual example of what “queer tv” might look like. When the show was first launched, back in 2009, drag was anything but mainstream: although it was a fairly well-known practice in the LGBTQ+ community, the general public was either unaware or shocked by this art form. It’s interesting to note that the show was first broadcasted on Logo TV, a network which originally produced content for the LGBTQ+ community, focusing heavily on the “G” part of it. The first few seasons of Drag Race seemed more or less like an accurate depiction of what was going on in the community (in the United States, that is) - although the horrible lighting and filter from the first season hid most of the competitors’ actual work, it was definitely a glimpse in the queer art form that is drag through a television screen. On the other hand, the reality television aspect of the show was quite in line with the modern mainstream genres of TV, independently of their affiliation with LGBTQ+ networks or content. Even in 2009, RuPaul’s Drag Race represented a problematic case for queer television: although the artform that is drag was definitely a queer subject, the form and the content were definitely mainstream and the broadcasting method was on the fence.

Ten years later, though, the situation has changed dramatically: with eleven regular seasons and four All-Stars seasons, spin-off series (RuPaul’s Drag U, RuPaul’s Drag Race UK), multiple Emmy nominations and awards, Drag Race has definitely become part of the mainstream imaginary. The content itself has changed a lot as well: the show has definitely become “RuPaul’s best friend race”, although season 4 contestant Lashauwn Beyond vehemently argued that’s not what the show was about. With the growing popularity of Drag Race, its move from Logo to VH1, as well as the importance that social media plays in both the overall drag culture as well as for the Drag Race community, the content itself has become increasingly polished and more “suitable” for a vast audience. Although there are the odd candidates in every season, and some of them even manage to get in the top 3 (or win, as is the case for season 9 winner Sasha Velour), the drag style that is put forward and encouraged in the show is increasingly conservative (insofar as drag culture can be conservative!), polished and young. The amount of Instagram Queens (young drag artists who have gained popularity mainly through social media platforms and have little to no knowledge of the drag scene) participating is more important every season, and falling in line with the mainstream and diluted conception of drag put forward by RuPaul has become the norm. In that context, speaking of queer television in the case of Drag Race becomes increasingly problematic. Can something that mainstream still be queer? Is there such a thing as falling out of queerness? Although Drag Race still represents an important avenue for a specific form of queer representation, is that type of visibility queer enough?

On the subject of representation and the diluting of queer culture, Dracmorda Boulet, member of the drag duo The Boulet Brothers, producers and hosts of The Boulet Brother’s Dragula (2016-), said “I do think visibility is important so yes, being visible teaches people about that [opening queer culture up to the masses]. A lot can be said about not cleaning it up too much because then you're losing the culture itself. There's a lot of rebellion and politics and rudeness and punk attitude and performance that come out of drag that you don't see on Drag Race” . Indeed, it seems like what is left behind from RuPaul’s Drag Race is, well, the queerness of the artform itself - its raw, countercultural, oftentimes punk performative aspects. Drag Race is so focused on telling the masses that queer people are just like them that it forgets that queer people might not want to be like the masses - although being understood and accepted by the masses does indeed generate a more consistent form of revenue.

Even when setting aside the problem of the “degree of queerness” of the show, RuPaul’s Drag Race puts forward several problematic aspects with regards to the representation of marginalized groups. It has often been criticized for its tokenization of black queens, its stereotypical and oftentimes harmful representation of people of colour, as well as its disdain for transgender women. Although this last one has recently been addressed by RuPaul and some transgender queens have gotten some well-deserved screentime (Gia Gunn and Peppermint, to name some of them), the show remains conservative on this subject as well.

Mots-clés

Série. Télévision. queer. Coming out. authentique. Tv. Homosexuel. TV. Hétéro. Temporalité. Trans. Candidates. Genre. Idée. Réalité. Programme. Représentation. Constructivisme. Public. Sexe. Question. Discussion. Plateforme. Sérielle. Personnages. Mise. Masculinités. Problèmes. Réduire. Personne. Narrations. Récits. Problématique. Horreur. Traumas. Donc. Manteau. Paratextes. Féminin. temps. Homosexualité. tv. aussi.

Par Marie-Andrée Poulin


Résumé des mots de Florian Grandena - TEMPORALITÉS DANS AMERICAN HORROR STORY


L’autoethnographie
Reconstruire un processus intellectuel de la présentation
Éclater le format traditionnel
Capacitisme
Ma maladie
Quelque chose de personnel et scientifique
Un fouilli multidirectionnel répétitif
Une constellation ?
C’est quoi la TV ? C’est protéiforme
Le protéiforme c’est Queer
Mais c’est pas suffisant pour me convaincre
Les TVs Queer, les gadgets de visionnements
Au 20e siècle c’était spectral
Ça reste un désir actuel
What is television?
It depends where you are
Télévisions Queer : réalités différentes
Les meaning du mot « Queer » : un chat n’y retrouverait pas ses petits
Illusion de cohérence
Ça me fascine et m’énerve
Je regarde la série autant qu’elle me regarde
Mutuel miroir hyper puissant
Un rouleau compresseur télévisuel
Dilatations temporels extrêmes
Parfois ennuyeuses
Queeriser ou exploser de l'intérieur ?
Narrativité non chronologique
Il y a des fantômes; des revenants; des ressuscités; des anachrony
C’est la temporalité d’histoires Queer spectrales
Sentiment de la blessure, PTSD
Une vue de trauma, une vue par le trauma
Vivre plusieurs temporalités simultanément : perte, trauma, mélancolie, communautés Queer
L’horreur comme genre
En retrait de la chrononormativité
Hantise du récit : une boulimie de références, une parenthèse cauchemardesque
Fantôme aux deux visages, les revenants sont des flashbacks et le méchant a un énorme pénis
Une communauté reconstituée fictive, une communauté reconstituée réelle par une filiation Spectrale
TransFiliations à travers le genre
Des fantômes au quotidien
Un récit masochiste.
Qu'est-ce que la télévision Queer? J'en ai aucune idée!
Qui construit la TVQueer? Qui la consomme? C’est nous, donc
Freaks sexué.es, freaks asuxé.es
Les freaks assument leur handicap, c’est Queer dans le propos
Plus une spirale, un zigzag narratif qu’une continuité
Qu’est ce que fait la TVQueer?
Elle me fait mal, me fait aussi beaucoup de bien
et me fait écrire des textes qui ne sont pas terminés...

Par Marie-Andrée Poulin


CRIPPER LA TVQUEER



À travers ses réflexions sur la question du colloque Est-ce que la télévision peut être queer?, Florian Grandena a avancé que la télévision serait en soit queer, tous.tes deux étant protéiformes et insaisissables. Il va en conséquent proposer de réfléchir des télévisions queer plutôt qu’une.
Au sein même de la quatrième saison Freak Show de la série AMERICAN HORROR STORY, Florian Grandena identifie que le queer se retrouverait notamment dans le rapport au temps de la saison, s’éloignant d’une chrononormativité. Effectivement, les temporalités de la série se construisent par des dilatations temporelles extrêmes, de la non-linéaritée, des anachronismes, l’investissement de la figure du spectre et du.de la revenant.e incarnant le flashback et la simultanéité des temporalités vécues par les personnages.
Ces temporalités et affects kaléidoscopiques, selon Grandena, permettraient aux personnages, mais aussi aux spectateur.trices, de trouver leur place au sein d'une communauté reconstituée dans une configuration spectrale. Aussi, le fait que les « freaks » assument leur handicap et/ou atypie serait « queer dans le propos ».

L’intervention de Joëlle Rouleau, demandant si Florian Grandena s’est notamment appuyé sur les études crip et les écrits de Robert Mcruer¹, m’a semblé intéressante afin de comprendre qu’il a plutôt été question de queertime que de criptime² dans cette présentation. Il va d’ailleurs nommer ce temps : des temporalités d’histoires queer spectrales. On y retrouverait par l’affect de la hantise, l’idée de la blessure, du syndrome post-traumatique, mais que la série réussit toutefois à réparer. Il y retrouvait également les notions de perte, de trauma, de mélancolie, qu’il dit retrouver souvent au sein des communautés queer.
De plus, Florian Grandena a été l’un des rares panélistes à aborder des enjeux tournant autour du capacitisme³ lors du colloque Télévision Queer. C’est un enjeu qui est généralement plus abordé à travers les études critiques du handicap, où on y interroge entre autres les représentations culturelles au sein de la télévision et du cinéma en tant qu’objets producteurs de la culture dominante et producteurs de sens. Mais les enjeux reliés au capacitisme deviennent également nécessaire d’être abordés au sein des réflexions queer.
Loin de pouvoir définir ce que signifie une posture queer, il me semble toutefois s’y retrouver les objectifs : de combattre les oppressions sans aucune hiérarchisation d’importance, ne s'intéressant pas d’abord et seulement aux questions de genres par exemple; de dépasser certaines conceptions binaires (non-handicapé.e, capable / handicapé.e, incapable, entre autres⁴) afin de penser de nouveaux idéaux; d’utiliser des stratégies auto-critiques afin de ne jamais, ou presque, se fixer dans une logique de processus autoréflexif perpétuel exigeant un « devenir ». Le tout afin d’éviter les rapports de domination, tels qu’une surprésence de personnes non-handicapées, entendantes, blanches, etc. qui habitent les milieux qui se revendiquent comme queer.

Par ailleurs, et quoiqu’on peut entrevoir quelques éléments s’éloignant de représentations capacitistes au sein de la série telle qu’une représentation de la sexualité de personnes handicapées ou le fait de revendiquer une différence physique comme identité positive désirée, il semble y avoir plusieurs éléments majeurs qui fait que la série reconduit des stéréotypes vis-à-vis des personnes handicapées ou ayant des corps atypiques.
Florian Grandena a d’ailleurs posé certains malaises vis-à-vis de la série : « Ça me fascine et m’énerve [...], je regarde la série autant qu’elle me regarde [...]. Les personnages retrouvent leur corps avant l’épisode d’amputation, mais la série amène ça comme un retour à un corps trauma : c’est capacitiste ».
Effectivement, considérant l’historique violent des freaks show⁵, du fait que la série fait aussi écho au film Freaks (1931) dans la même veine que les freaks shows, et que la majorité des acteur.trices performent le handicap et le corps atypique, excepté les rôles secondaires de Rose Siggins, Mat Fraser, Ben Woolf et Jyoti Amge, un malaise s’installe.
Il y a pourtant au cinéma et dans les séries, comme l’avance Elodie Marcelli⁶, « [...] le potentiel de créer et de produire des représentations culturelles nouvelles et diversifiées de personnes handicapées dans lesquels je, et d’autres personnes, pourront éventuellement s’identifier et déconstruire les stéréotypes associés traditionnellement aux personnages handicapés ».

Mais comme cela a été avancé à de nombreuses reprises au cours du colloque Télévision Queer, il faut également se questionner sur d’autres aspects que la représentation, dont notamment:

[...] autour de l’accessibilité culturelle, qui désigne un ensemble de recommandations et de pratiques qui donnent l’accès aux espaces et aux pratiques artistiques et culturelles afin de favoriser un sentiment d’appartenance, de visibilité et de participation sociale des personnes handicapées. Mais outre que de donner accès aux espaces et aux pratiques, il faut amorcer une pensée autour de quelle culture nous donnons accès. Pour les personnes qui ont historiquement été exclues des arts et de la culture, l’enjeu ne réside pas seulement dans l’accès et l’inclusion à une culture dominante. Il faut également favoriser les œuvres faites par des personnes handicapées, ce qui engendrerait inévitablement, mais nécessairement une transformation des milieux des arts et de la culture.
Ainsi, il faut aller plus loin que la question des représentations culturelles. Nous devons réfléchir aux espaces, nous questionner sur qui crée, qui organise et qui expérimente la culture pour comprendre comment nous participons tous.tes à une culture capacitiste, et pour ainsi mieux s’en éloigner. (Ibid.)

1. Auteur américain qui réfléchit les théories queer et les études critiques du handicap.
2. L’expérience du temps du point de vue d’une personne handicapée, mad ou neurodivergente et/ou d’expérimenter le temps en leur compagnie. Cela implique une expérience du temps autre que normative, entre autres, dans le fait de se déplacer, communiquer, aller d’un endroit à l’autre, se rassembler entre ami.es ou négocier des espaces (in)accessibles. (http://somatosphere.net/2015/pixelization-in-crip-time-disability-online-sociality-and-self-making-in-russian-apartments.html/)
3. Système d’oppression et de discrimination fondés sur les handicaps.
4. Voir les recherches d’Elodie Marcelli.
5. Expositions du 19e et 20e siècles aux État-Unis mettant en spectacle majoritairement des personnes ayant des corps atypiques, parfois également exposées aux côtés d’animaux, pour un public blanc non-handicapé en recherche de divertissement. Les personnes noires étaient également considérées comme ayant des corps atypiques à cause de la couleur de leur peau et s’y retrouvaient parfois exposées.
6. Dans Quelques paradoxes féministes (à paraître) 

Par Marie-Andrée Poulin

FRANCO-QUEB-QUEER

Par sa diversité d’invité.es locaux.ales et internationaux.ales, et notamment par les interventions d’Alice Bédard¹, de Tara Chanady²  et de Stéfany Boisvert³  sur des corpus québécois, le colloque Télévision Queer m’a permis de mieux comprendre que les milieux francophones québécois semblent peu investir les corpus francoqueb à partir d’une posture queer.
Il me semble important de se questionner sur l’importance de créer des réflexions, voire des traductions des théories queer dans les milieux francoqueb. Loin de vouloir exiger un « En françââ ! » simpliste à la PKP⁴ , une traduction en francoqueb du terme et concept « queer » pourrait permettre de réfléchir les questions et postures « queer » en cohérence avec les contextes francophones québécois.

Dans l’ouvrage « “Queer“, “transpédégouine“, “torduEs“, entre adaptation et réappropriation, les dynamiques de traduction au cœur des créations langagières de l’activisme féministe queer », Marie-Émilie Lorenzi relève les enjeux associés à la traduction ou la non-traduction du terme « queer » dans un contexte français:

De toute évidence, le terme « queer » ne résonne pas de la même façon en version originale – le contexte anglo-saxon d’émergence – qu’en version française, contexte linguistique dans lequel s’inscrit cette analyse. Avec l’émergence au milieu des années 1990 en France des problématiques queer s’est imposée pour les militant.e.s la question de la traduction du terme. D’un côté, fallait-il le maintenir tel quel, sans y apporter de traduction, au risque d’entretenir un flou sémantique et de perdre la charge politique et radicale attachée à ce terme ? En effet, l’absence de traduction ne revient-elle pas à balayer d’un revers de la main le parcours tumultueux de ce mot, de sa charge insultante et dépréciative originelle, ensuite fruit d’une réappropriation dans un geste de fierté ? Une fois la chaîne d’historicité de la puissance d’agir queer effacée (Butler 2009 : 231), cette importation ne fait plus écho à la dimension performative du langage – « le pouvoir des mots » pour citer Butler (2004) –, en résulte une fatale dilution du contenu politique radical qui lui était attaché initialement⁵.

En France, certains milieux militants vont donc se référer au mouvement transpédégouine ou torduEs⁶ plutôt que queer. Ce sont des néologismes qui font plus de sens pour certain.es, car contextualisés et sémantiquement rattachés à une histoire française.

Au Québec, nous utilisons majoritairement le terme « queer » ainsi que le terme « allosexuel » qui a été proposé comme traduction québécoise française. Cependant, il y a de nombreuses limites au terme « allosexuel » car il élimine, d’une part, la portée politique du mot « queer », et d’une autre part évoque, par la présence du terme « sexuel », plutôt les orientations sexuelles et exclurait les identités de genres⁷.

Par ailleurs, il faut également se rappeler que « queer » est un terme, un concept occidental venant des États-Unis⁸. Ce qui ressemblerait le plus dans d’autres communautés à ce concept, identité et/ou posture serait, entre autres, chez certaines communautés autochtones « two spirits »⁹  ou « bi-spirituelle »¹⁰, ou encore « gatekeepers »¹¹  des communautés Dagara en Afrique de l’ouest. Ces termes ont été traduits en anglais et en français, des langues coloniales, mais ils réfèrent à des identités et concepts qui existaient bien avant l’arrivée du terme « queer » et des colonialismes. Ce retour à ces identifications fait notamment partie d’un processus de décolonisation et d’autodétermination de communautés non-occidentales. Leurs aspects intrinsèquement spirituels constituent également une différence majeure avec le queer, et la réémergence de ces termes est directement reliée à une histoire pré-coloniale et/ou coloniale et/ou post-coloniale et/ou décoloniale.

Ces nombreux termes qui s’éloignent tous d’identités et/ou de postures binaires sont des processus d’autodétermination chargés de sens et qui permettent de se détacher de termes universalistes et/ou dominants :

En intervenant directement sur le langage, les activistes font du principe d’autodéfinition un enjeu nécessaire à la constitution en tant que sujet, et participent à la création de contre-histoires [counterstories] allant à l’encontre des narrations dominantes (Lindemann Nelson 2001). Il s’agit de se créer un langage propre mais qui ne soit pas, comme l’indique Charles Winick, “ seulement un langage secret, cryptique, mais un moyen de laisser libre cours à son imagination et d’exprimer un malaise vis-à-vis du langage ordinaire et de la réalité “ (Winick 1959 : 249). Aussi ce processus fait-il écho aux vœux adressés par Gloria Anzaldua quant à la possibilité, à travers la création d’une nouvelle langue de frontière, de revendiquer un espace autre, hybride (Anzaldua 1987).

Les milieux québécois francophones et anglophones ont eu de grandes différences expérientielles de l’histoire et correspondent à des contextes québécois différents. Tenter de traduire le terme « queer » au contexte francoqueb serait une première étape afin de soulever plusieurs enjeux qui lui sont spécifiques. Il faudrait, entre autres, se questionner sur des insultes propres aux histoires francoqueb, sur comment et pourquoi se les réapproprier, sur ce que cela impliquerait aux niveaux sociopolitique et théorique de s'autodéfinir selon ces termes; mais aussi s’interroger sur les rapports de pouvoir que la traduction et les choix de termes impliquent, notamment en considérant notre posture coloniale actuelle et les réalités intersectionnelles¹³.
Peut-être que cette tentative permettrait d’élargir, voire de propager le champ des études queer dans les milieux francophones québécois et ainsi, non pas de répondre de manière moins ambiguë à la question Est-ce que la télévision peut être queer?, mais de mieux situer ses ambiguïtés.

1. « Queer Networks : New forms and plateforms of television »
2. « Entre stéréotypes et conformisme : une critique queer des représentations gaies, lesbiennes, bi et trans à la télévision de fiction québécoise »
3. « Une télévision publique et… Queer ? La représentation de personnages queer, trans et non-binaires dans les séries de fiction des diffuseurs publics canadiens »
4. https://www.youtube.com/watch?v=njPf8mckn4w 
5. https://www.revue-glad.org/462
6. Ibid.
7. http://www.revuecygnenoir.org/numero/article/queer-in-quebec 
8. https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_queer
9. https://en.wikipedia.org/wiki/Two-spirit et https://www.facebook.com/ajplusenglish/videos/622125014922652/UzpfSTEwMDAwNTUxMDcxNzc1MDoxMTg1ODIxNjQ4Mjc4MTgx/?q=two%20spirits%20&epa=SEARCH_BOX (À 1 minute)
10. Two spirit et bi-spirituel sont des traductions anglaise et française de termes existants dans diverses langues autochtones.
11. Voir https://www.youtube.com/watch?v=z_GJA5Y57Bk ou le chapitre 13 de l’ouvrage « The Spirit Of Intimacy, Ancient Africa Teachings in the Ways of Relationships » de Sobonfu Somé.
12. https://www.revue-glad.org/462
13. https://www.youtube.com/watch?v=ViDtnfQ9FHc

Par Marie-Andrée Poulin

Multiples stratégies queer

Joëlle Rouleau :
« Le queer c’est rien, mais c’est aussi toute, c’est nulle part et partout. »

Question du public : « Quelle est la forme parfaite queer? »
Alice Bédard : « Toute. »

Les potentialités queer au sein de la télévision soulevées au cours du colloque ont été nombreuses. L’une de celles-ci a été la notion de multiplicité, et notamment la nécessité de représentation d’identités multiples au sein des productions télévisuelles, tel qu’abordé par plusieurs panélistes.
Bien qu’il soit nécessaire de multiplier les représentations identitaires, cela n’est pas suffisant : la télévision n’est pas qu’une affaire de (d’auto)représentation. Elle nécessite aussi une réflexion sur les formes, les sujets, les intentions, les effets, les institutions, les marges, les réalisateur.trices, les publics, etc. 

Description de l’image : Tweet publié par Mapppppppppppppp le 11 mai 2019. Texte de l’image : Charlotte Kaiser conclut que l’autoreprésentation positive queer n’est pas nécessairement garant d’une représentation adéquate. Il faut une multiplicité de représentations, fragmenter les normes pour négocier, représenter des identités derrière les catégories. #QueerTv2019

Il est évidemment impossible au sein d’une série ou d’un film de représenter toute la diversité possible des corps, des conditions, des identités, des histoires, etc. De ce fait, une des possibilités queer avancées par Prakash Krishnan, spécifiquement pour les personnes queer racisées, serait justement de ne pas créer du contenu visant un public universel, mais de créer des séries « pour nous, par nous » tout en considérant que celles-ci s’adressent tout de même à tout le monde. Cette possibilité permettrait notamment de ne pas traduire des propos autres qu’en anglais ou français afin de créer de nouveaux rapports avec les publics. Krishnan présente également la non-traduction comme une stratégie queer possible au sein des webséries. On la retrouve dans Brown girls¹, où il y n’y a notamment pas de traduction des dialogues en espagnol. Il avance également que cela permet de créer des personnages racisés qui ne se justifient pas d’être queer et/ou racisés, à la différence de la posture « de la justification » grandement utilisée par les médias mainstream. 

Description de l’image : Tweet publié par : LaboTélé  le 11 mai 2019. Texte de l’image : Although the show has a « for us, by us » premise, as it doesn’t take a position of explanation, the researcher believes that it can still appeal to a wider audience, juste like he could enjoy narratives of white nuclear families even if it differed from his reality. #QueerTv2019

Description de l’image : Tweet publié par Mapppppppppppppp le 11 mai 2019. Texte de l’image : Dans la série « Brown Girls » il n’y a pas de traduction lorsqu’on parle dans une autre langue que l'anglais  #QueerTv2019 + un GIF de Jennifer Anniston l’index sur le menton avec la mention « Hmm interesting..."

Comme l’a avancé Marion Froger lors d’une période de questions, il est également possible de travailler les médiums sériels, cinématographiques et télévisuels au-delà ou en complément des réflexions sur les politiques de la représentation, notamment via la posture spectatorielle d’accompagnateur.trice. Cette posture serait une stratégie afin de créer une place aux spectateur.trices qui ne s’identifieraient pas nécessairement aux personnages et/ou aux histoires présenté.es à l’écran et permettrait donc de penser, sans viser, aux multiples publics potentiels plutôt qu’à un public universel.

Description de l’image : Tweet publié par Mapppppppppppppp le 11 mai 2019. Texte de l’image : Marion Froger souligne le potentiel de bien construire la posture du spectateur.trice qui peut devenir un.e accompateur.trice de personnages auxquels iels ne s’identifient pas nécessairement #QueerTv2019

Lors de la table ronde Queer Networks : New forms and platforms of television, la réalisatrice Alice Bédard a soulevé le fait qu’au Québec il n’y avait actuellement pas de bonnes représentations de personnages trans. À travers les présentations de Tara Chanady² et de Stéfany Boisvert³, nous avons également pu constater que les apparitions de personnages trans à la télévision québécoise et canadienne étaient rares, brèves et construites de manière déshumanisante. 

Description de l’image : Tweet publié par LaboTélé le 11 mai 2019. Texte de l’image : Par exemple, au sujet du personnage de Jade dans #HubertEtFanny, le paratexte emploie continuellement le prénom et le genre qui lui ont été attribués à la naissance, préservant un cadre interprétatif cissexiste #QueerTv2019

Description de l’image : Tweet publié par Mapppppppppppppp le 11 mai 2019. Texte de l’image : Stéfany Boisvert parle de Cisgaze  #QueerTv2019

Description de l’image : Tweet publié par Mapppppppppppppp le 11 mai 2019. Texte de l’image : Stéfany Boisvert quote Halberstram : TV want trans people to pass.  #QueerTv2019 Il ne faut pas choquer le public <universel> straight, cis. 

Description de l’image : Tweet publié par LaboTélé le 11 mai 2019. Texte de l’image : Boisvert conclut avec le constat que si la télévision publique canadienne a réellement une visée d’explication de la différence, elle n’aménage pas de place réelle dans les récits pour les personnages incarnant cette différence. #QueerTv2019

De ce fait, Alice Bédard a souligné l’importance de représenter de réelles situations vécues par des personnes trans et jouées par ces dernières, tel qu’elle l’a fait au sein de sa websérie à venir.
Avec TRANS⁴, Alice Bédard réfléchit également aux spectateur.trices qui ne s’identifient pas aux identités trans (en plus de créer une websérie « pour nous, par nous »). Elle met en scène des situations banales du quotidien et utilise des codes classiques du cinéma afin de faciliter l’accès au contenu pour les publics mainstream. Elle s’intéresse donc à garder une « authenticité », tout en s’adressant parallèlement aux publics mainstream, voire aux publics transphobes. Elle prenait d’ailleurs en exemple le fait d’avoir une mauvaise « date » au restaurant, situation banale vécue par beaucoup de personnes, « sauf que là tu la vis parce que t’es trans. »

Description de l’image : Tweet publié par Mapppppppppppppp le 11 mai 2019. Texte de l’image : Comment arriver à rester <authentique> dans la production d’une série trans par et pour des personnes trans tout en s’adressant au mainstram ? Alice Bédard répond que c’est par la mise en scène de situations universelles comme une date dans un restau. #QueerTV2019

Description de l’image : Tweet publié par Mapppppppppppppp le 11 mai 2019. Texte de l’image : Alice Bédard veut que Luc de St-Lin puisse comprendre des réalités trans pour déconstruire le stéréotype <du gars en robe> #QueerTV2019

Alice Bédard tente donc de réunir des publics à première pensée opposés. D’une part, elle crée des représentations auxquelles les personnes trans pourraient potentiellement mieux s’identifier que celles déjà existantes (notamment en témoignant de son propre vécu, mais aussi par la participation d’une équipe de tournage concernée par ces enjeux et qui contribue également aux contenus). D’autre part, elle crée une posture spectatorielle d’accompagnateur.trice et/ou d’identification des publics cisgenres aux personnages transphobes de la websérie, ce qui pourrait faire chanceler les préjugés et ignorances de ces publics par rapport à certaines réalités trans. 

Description de l’image : Tweet publié par Mapppppppppppppp le 11 mai 2019. Texte de l’image : Une des stratégies d’Alice Bédard : prendre en lasso les personnes qui s’identifient aux personnages transphobes de sa série pour les amener tranquillement à mieux comprendre pourquoi c’est problématique, à travers les personnages trans de la série #QueerTV2019

On peut y déceler une brillante stratégie éducationnelle sur les enjeux vécus par les personnes trans, qui s’éloigne des visées pédagogiques de la télévision publique telles que révélées par Stéfany Boisvert. TRANS s’en éloigne parce qu’elle est créée par des personnes trans, mais aussi parce qu’elle met en scène diverses représentations du quotidien au sein de ses récits, au lieu de réduire ses personnages trans à un quota et de miser sur des campagnes de sensibilisation comme le fait entre autres Radio-Canada. 

Description de l’image : Tweet publié par LaboTélé le 11 mai 2019. Texte de l’image : La télévision publique tente ainsi de développer une pédagogie de la différence, réaffirmant le rôle pédagogique du diffuseur public. Or, la conception d’une audience comme hétérosexuelle cisgenre maintient les personnages queer en marge. #QueerTV2019 

Description de l’image : Tweet publié par Mapppppppppppppp le 11 mai 2019. Texte de l’image : ???? Pourquoi des séries web ???? #QueerTV2019

Finalement, pour Prakash Krishnan, la websérie est un médium qui ouvre la possibilité d’être critique et de prendre en compte les intersections des identités représentées. Prakash cerne le fait que ce médium permet également de complexifier les personnages secondaires, qui dans les médias mainstream n’ont pas de profondeur , étant seulement des éléments secondaires pour faire avancer l’histoire. « Brown girls » prouve qu’il est possible de créer de multiples représentations de personnes marginalisées grâce au médium de la websérie. Elle est une stratégie peu coûteuse, rapide, et permettant d’être indépendant.e des distributeur.trices, de pouvoir écrire son propre scénario, d’en faire la direction et de choisir sa distribution. Elle laisserait donc la place à plusieurs possibilités de queeriser la télévision. 

Description de l’image : Tweet publié par LaboTélé le 11 mai 2019. Texte de l’image : Krishnan appreciates how the webseries format allows for even secondaire characters to be complex and nuanced. The show portrays the multidimension of life itself, and more specifically of those at the intersection of various non-hegemonic characteristics. #QueerTV2019

1. Voir : http://www.browngirlswebseries.com/episodes/
2. Entre stéréotypes et conformisme : une critique queer des représentations gaies, lesbiennes, bi et trans à la télévision de fiction québécoise »
3. « Une télévision publique et… Queer ? La représentation de personnages queer, trans et non-binaires dans les séries de fiction des diffuseurs publics canadiens »
4. Voir la bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=dU3PP2F3h7w

Par Marie-Andrée Poulin