Retour sur le colloque :
« Intervalles sériels. Littérature, cinéma, télévision, médias »

La chose la plus belle de l’Éducation sentimentale, ce n’est pas une phrase, mais un blanc.
— Marcel Proust, « À propos du style de Flaubert »

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L’intervalle, qu’il soit distance spatiale ou période de temps, est un écart ou un ensemble existant entre deux valeurs : appréhendé en tant que phénomène dépassant les frontières médiatiques et disciplinaires, il émerge comme concept qui intéresse à la fois notre relation aux contenus et la façon de construire notre connaissance du réel.

L’analyse de la sérialité peut grandement bénéficier d’une réflexion sur les intervalles entendus comme éléments esthétiques, narratifs et pragmatiques. Garants de la polyphonie et de la multiplicité d’une œuvre, les intervalles permettent entre autres de fragmenter les contenus afin d’en accentuer l’accessibilité et la commercialisation (pensons au roman-feuilleton), d’ouvrir une place pour la publicité (les interstitials sont les contenus publicitaires qui se greffent dans les pauses d’un programme), de réactualiser la valeur d’une œuvre dans un espace-temps différent (le remake, le reboot) et d’en étoffer la complexité (le triptyque en peinture). Il s’agit aussi de l’espace dans lequel le potentiel rhizomatique d’un texte peut s’exprimer et où l’identité des utilisateurs se construit une nouvelle place par le biais de formes de braconnage. Ce phénomène est de plus en plus pertinent à l’ère du numérique où fan fictions et autres réécritures grassroots, nées dans les hiatus entre les épisodes ou les saisons, gagnent en visibilité. Finalement, l’intervalle est ce qui permet de distinguer les phénomènes sériels des œuvres uniques, et c’est peut-être là où de nouveaux enjeux émergent à l’ère numérique.

En effet, depuis l’arrivée des services de production et de distribution de contenus numériques, les études télévisuelles forment un chef-lieu pour les réflexions sérielles. Les publications sur des séries en particulier et sur la sérialité comme phénomène global sont nombreuses*. Or, si ces réalisations viennent effectivement renforcer un champ de recherche de plus en plus étoffé – la sérialité semblant aujourd’hui dominante dans tous les domaines de la sphère médiatique –, une étude approfondie de la place des intervalles est encore manquante. Pourtant, les modalités actuelles de distribution et de consommation contemporaine semblent remettre en question l’organisation en livraisons distinctes (parties, supports, chapitres, épisodes) : il suffit de penser à la constitution de bibliothèques de fichiers téléchargés illégalement jusqu’aux livraisons d’œuvres complètes sur Netflix, que l’on peut consulter de manière continue, comme le prouve le phénomène du visionnage en rafale (binge-watching).

De manière plus large, les intervalles pointent une contradiction qui demeure au cœur des œuvres sérielles, dans différentes pratiques artistiques : celle entre leur nature d’œuvres, unifiées, reconnaissables comme un tout, et leur nature fragmentée, soumise à une logique de différence et de répétition, dans le cadre de leur livraison sur une temporalité élargie, incluant des pauses, des attentes, des variations. Par la notion d’intervalle, la sérialité, comme nous en faisons quotidiennement l’expérience, soulève ainsi maintes questions concernant les usages et les actes de consommation de la part des lecteurs et spectateurs.

Le colloque « Intervalles sériels » propose d’enquêter sur la nature des phénomènes sériels à partir d’un point de vue qui soit à la fois narratologique, esthétique et philosophique, mais ancré dans une perspective pragmatique, par le biais des études des logiques de production et de réception. L’événement, sur deux jours, est pensé sur le mode d’un séminaire afin de laisser place à des discussions qui donneront l’occasion de réfléchir à la place historique de l’intervalle, de même qu’aux raisons rhétoriques, pragmatiques et commerciales qui ont déterminé l’évolution des formes sérielles (qu’il s’agisse de poèmes épiques, romans-feuilletons, séries télé, films, jeux vidéo, publications numériques). Regroupées en panels thématiques entremêlant époques et dispositifs, les communications seront d’une durée de trente minutes. L’événement réunira des chercheur.e.s de calibre international ainsi que des jeunes docteur.e.s et doctorant.e.s spécialistes de littérature, cinéma, télévision, jeu vidéo, histoire de l’art, histoire classique, sociologie des médias, musique et disciplines connexes, capables de présenter des contributions qui feront avancer la connaissance sur la sérialité par une attention portée à la place des intervalles dans les séries.

Sans restrictions chronologiques ou langagières par rapport aux corpus étudiés, nous invitons les participant.e.s à réfléchir aux enjeux suivants :
histoire et typologies des intervalles dans les médias;
intervalles et ordre temporel dans la sérialité;
étude narratologique de la place et de la fonction de l’intervalle dans une œuvre sérielle;
procédés rhétoriques sériels liés aux intervalles (chutes, redondances, réitérations, etc.);
reliques des intervalles dans les productions contemporaines type Netflix;
les intervalles et l’identité;
les intervalles dans les pratiques de création;
les intervalles comme espace de productivité des lecteurs/spectateurs/fans;
les intervalles : une question d’espace ou de temps ?
* Mentionnons entre autres le colloque Film and media: Serialities 1915/2015, le colloque de l’AFECCAV Images pour/suite : remake, franchise, filiation (2016), le dossier Serials, Seriality and Serialization (printemps 2017) de la revue The Velvet Light Trap ainsi que la revue TV/Series, lancée en 2012. Le travail de Pop en Stock sur la culture populaire représente également un chantier très riche.

Organisation

Marta Boni, Thomas Carrier-Lafleur, Marcello Vitali-Rosati

Bibliographie

Allen, Rob, et Thijs van den Berg. Serialization in Popular Culture. Routledge Research in Cultural and Media Studies ; 62. New York ; London: Routledge, 2014.

Ang, Ien. Watching Dallas. London ; New York: Routledge, 1991.
Benassi, Stéphane. Séries et feuilletons T.V.: pour une typologie des fictions télévisuelles. Liège,

Belgique: Editions du CEFAL, 2000.
Benjamin, Walter. L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée. Paris: Gallimard, 2000

[1939].
Deleuze, Gilles. Différence et répétition. 5e éd. Bibliothèque de philosophie contemporaine. Histoire

de la philosophie et philosophie générale. Paris: Presses universitaires de France, 1985.
Hills, Matt. Fan cultures. Sussex studies in culture and communication. London ; New York:

Routledge, 2002.
Lavigne, Carlen (dir). Remake television: reboot, re-use, recycle, Lanham, Maryland: Lexington

Books. 2014.
Letourneux, Matthieu. Fictions à la chaîne: littératures sérielles et culture médiatique. Poétique.

Paris: Éditions du Seuil, 2017.
Mittell, Jason. Complex TV: The Poetics of Contemporary Television Storytelling. New York: NYU

Press, 2015.
Russo, Julie Levin. « Inside the Box: Accessing Self-Reflexive Television ». Journal of E-Media

Studies 2, no 1 (2009). https://doi.org/10.1349/PS1.1938-6060.A.324.

Les vidéos du colloque